Le dernier numéro d’Alternatives Humanitaires vient d’être publié, avec le soutien de la Fondation Médecins du Monde.
Copiloté par Stephanie Stern – Référente Apprentissage et valorisation des savoirs, ACTION CONTRE LA FAIM – France, et Frederic Mousseau – Directeur politique du The Oakland Institute, avec Boris Martin, le rédacteur en chef de la revue, ce 25e numéro cherche à mieux comprendre les causes des crises alimentaires, traduction concrète et dramatique des inégalités engendrées par le système économique mondial actuel.
Ce numéro « Crises alimentaires : quel rôle pour les acteurs humanitaires ? » est désormais disponible à l’achat et en consultation libre sur le site https://www.alternatives-humanitaires.org/.
Retrouvez son édito ci-dessous.
Entre souffrance des populations, profiteurs et spéculateurs : la lutte contre la faim est une bataille contre l’ordre établi
Depuis cinq ans, la faim est repartie à la hausse et les crises alimentaires se multiplient. En 2022, 828 millions de personnes souffraient de la faim dans le monde, soit quarante-six millions de plus qu’un an auparavant. D’après le rapport 2023 sur les crises alimentaires du Programme alimentaire mondial, on dénombrait cinquante-huit crises alimentaires dans le monde en 2022 et 258 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire aigüe, c’est-à-dire en incapacité d’accéder physiquement et économiquement à une nourriture suffisante, saine et nutritive. La sous-nutrition, qui implique un retard de croissance, une malnutrition aigüe et des carences multiples, demeure la cause de près de la moitié des décès des enfants de moins de cinq ans. En dehors même des situations de crise aigüe, trois milliards de personnes n’ont pas accès à un régime alimentaire sain. L’insécurité alimentaire, autrefois triste apanage des pays pauvres ou en guerre, touche de manière croissante les pays industrialisés. Quelque 16 % des Français déclarent ne pas manger à leur faim et vingt-six millions d’Américains souffraient de la faim en 2020. Au même moment, comme l’ont rappelé les manifestations paysannes, début 2024, dans plusieurs pays européens, les agriculteurs et les éleveurs qui produisent notre alimentation sont largement marginalisés et exploités par des politiques publiques qui profitent aux grands groupes agroalimentaires et à leurs actionnaires.
Les articles de ce dossier, sous différents angles, arrivent à la même conclusion : notre système d’économie mondialisé est à bout de souffle et, loin d’atténuer les inégalités et les crises alimentaires, il ne fait que les accroître. La « Révolution verte » promise à l’Afrique n’a pas eu lieu et, comme le démontre Timothy A. Wise dans son article, l’augmentation de productivité se fait toujours attendre alors que les sols… et les paysans s’appauvrissent, et que le nombre de personnes souffrant de la faim ne cesse d’augmenter. Tout en défendant ardemment l’agroécologie, Caroline Broudic explique partiellement ce naufrage par la volonté d’imposer une vision mondiale standardisée, simpliste et réductrice des systèmes agricoles et alimentaires, qui ne reflète ni la diversité ni la complexité des modèles paysans ou autochtones, mais s’accorde parfaitement avec les intérêts des grands groupes agro-industriels. Analysant la hausse des prix alimentaires consécutive à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, Frédéric Mousseau va plus loin. Il dénonce l’inaction coupable des États et la complicité des institutions internationales qui mettent en œuvre des politiques financées avec de l’argent public, au détriment des paysans et des consommateurs, pour le profit des grands groupes et de leurs actionnaires. Thomas Toulas appelle quant à lui à une approche holistique et concertée qui prenne en compte les déséquilibres de pouvoir – entre pays et entre genres –, les causes profondes des conflits, ainsi que les enjeux climatiques et environnementaux.
Pour les organisations humanitaires, la lutte contre la faim est donc aussi politique et demande davantage que les moyens nécessaires pour mettre en œuvre des actions auprès des populations. Il n’en demeure pas moins que les modalités de cette action humanitaire restent toujours à adapter et améliorer tant elle doit être, en effet, holistique. C’est ce que propose Olivia Falkowitz en recommandant, partant de l’exemple de la République centrafricaine, de penser la sécurité alimentaire à l’aune des indicateurs de santé pour mieux anticiper les crises et hiérarchiser les réponses. Une approche différente, moins verticale et plus proche des réalités territoriales : c’est aussi ce que demande Harold Gaël Njouonang Djomo depuis le Cameroun, dans un article que les lecteurs retrouveront en exclusivité dans la rubrique Forum du site d’Alternatives Humanitaires.
Nous espérons que ce dossier nous fera collectivement avancer, en donnant quelques clés pour améliorer les opérations des acteurs humanitaires. Au-delà du rôle crucial qui est le leur dans la survie de millions de personnes, ils doivent convaincre leurs partenaires et les décideurs politiques que la bataille contre la faim dans le monde est aussi celle de la justice sociale et économique. On ne pourra vaincre ce fléau sans questionner et remettre en cause le modèle économique en place et l’ordre établi.